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Gérer des réserves, tisser des liens

Pourquoi gère-t-on une réserve ? Pourquoi viser la plus grande biodiversité possible ? Quels choix porte Natagora quand il s'agit de gérer une réserve ? Que disent ces pratiques de notre lien avec la nature ? Et de nos liens, entre humains ? Une petite plongée réflexive dans ce qui nous motive à participer à des gestions, en tant que volontaire ou gestionnaire. Ou comment, en plantant une fourche dans un tas de foin, on participe à la grande toile qui lie les humains entre eux et avec leur environnement naturel.

Gérer ou ne pas gérer ?

C’est LA question récurrente lorsque l’on parle de conservation de la nature. Qu’est-ce qui amène des structures comme Natagora, et avant cela RNOB, à intervenir – de manière parfois spectaculaire – dans les réserves naturelles dont elle est responsable ?

Ce débat ne cesse d’agiter la communauté naturaliste, et il n’est pas question ici de faire tout le tour de la question, au risque de transformer un simple article en thèse de doctorat. La prétention n’est pas non plus d’apporter des réponses précises et techniques, mais de soulever des pistes de réflexion, et de mettre en lumière des actions qui font sens au sein de la communauté de Natagora.

Lorsque l’on accorde un statut de réserve naturelle à un site, l’objectif est d’y favoriser le développement et/ou le maintien des écosystèmes, et de protéger des espèces sensibles et menacées, dans un contexte de dégradation et de disparition alarmante des écosystèmes. Mais quels milieux, quelles espèces doivent alors être privilégiées ? Faut-il laisser libre cours à l’évolution spontanée des milieux ou pratiquer une gestion des habitats ?

Certains milieux, et notamment les milieux ouverts et semi-ouverts, sont généralement voués (sous nos latitudes) à évoluer vers des milieux fermés s’ils sont laissés à l’abandon. Comme ce sont des milieux extrêmement riches en diversité d’espèces, cela revient donc à laisser de nombreuses espèces « disparaitre » au profit d’un paysage forestier plus homogène. Mais d’un autre côté, la libre évolution est essentielle pour les espèces dépendantes de forêts anciennes, riches en bois mort et sols peu perturbés. Elle permet aussi de voir émerger des espèces parfois inconnues ou inattendues. C’est donc en prenant en compte ces éléments, et en étudiant les spécificités de chaque site, que Natagora privilégie un savant mélange entre libre évolution et interventionnisme, afin de favoriser la diversité des milieux et donc des espèces.

Un patrimoine à préserver et à transmettre

Mais reste la question : pourquoi préserver la biodiversité des espèces sauvages ?

Cette diversité, à l’image de la diversité des cultures humaines, fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco. Ce terme de patrimoine n’est pas choisi au hasard, en ce qu’il fait appel à l’idée d’un bien commun à la collectivité, qui se doit d’être choyé et transmis au fil des générations. Cette richesse d’espèces peut être considérée comme un but en soi, un réservoir d'étonnement infini. Mais aussi à l’aune de ses innombrables services écosystémiques essentiels à la survie de l'humanité et du vivant en général, comme l'approvisionnement en ressources ou la résistance aux stress environnementaux à venir.

Or, dans un contexte de morcellement du territoire et de destruction toujours plus accrue des écosystèmes par les activités humaines, cette biodiversité est toujours plus menacée. Le déclin du nombre d’individus et d’espèces est d’ores et déjà alarmant, et les chiffres ne cessent d'empirer. Il est donc primordial, surtout dans un pays densément peuplé comme la Belgique, d’offrir des refuges aux espèces les plus menacées par ces changements. Il est intéressant d’observer que 30 à 40% des espèces de plantes supérieures et des papillons de jour sont désormais dépendantes des réserves naturelles en Belgique. Ces espèces sont inféodées à des milieux spécifiques qui sont parfois dépendants de l’action humaine pour perdurer dans le temps ; c’est donc une réelle preuve de solidarité intergénérationnelle que de mener ces actions de gestion.

Tisser les liens avec nos écosystèmes

Depuis que notre espèce existe, elle a des impacts sur son environnement ; comme toute espèce interagit avec son écosystème et le façonne à son échelle. Malheureusement, en quelques millénaires seulement, ces impacts ont radicalement dépassé ceux de toutes les autres espèces, pour arriver à des résultats catastrophiques. Mais si aujourd’hui la majorité des interventions humaines ont des conséquences destructrices, il serait erroné de penser que cela a toujours été le cas.

L’idée d’une nature laissée « intouchée », « vierge », en opposition à l’action destructive, corruptrice, de la main humaine, relève en réalité d’une conception binaire mettant d’un côté la nature et de l’autre la culture. Mais cette vision très occidentale est remise en question depuis des décennies, car elle est l’une des sources du désastre écologique actuel. Or les écosystèmes tels qu’on les connaît aujourd’hui sont le fruit d’une coévolution des humains et de leur environnement. Par exemple, la présence importante de prairies en Belgique est issue directement de pratiques d’élevage ancestrales ; le maquis si emblématique du Sud de la France est le résultat d’une exploitation humaine de plusieurs millénaires. L’intervention humaine dans les milieux naturels est donc une longue histoire qui a façonné nos paysages, et qui a contribué à la présence de certains écosystèmes aujourd’hui protégés. Les pratiques agricoles étant historiquement extensives, et donc respectueuses des rythmes biologiques, elles ont favorisé la diversification des espèces en ouvrant les milieux.

À l’inverse, les écosystèmes dans lesquels les sociétés humaines ont évolué ont eu de grands impacts sur leurs cultures si spécifiques. Une histoire d’œuf et de poule, en quelque sorte. Il n’est donc pas simple de démêler les raisons qui nous poussent à agir pour modeler les réserves naturelles, mais on peut y trouver une façon d’être en lien avec l’environnement naturel qui nous accueille et que l’on a vu évoluer au fil de notre histoire.

Par leurs connaissances approfondies des milieux, des espèces et des interactions qui y ont lieu, les gestionnaires de réserve tissent des liens privilégiés avec cette nature, dont nous oublions trop souvent que nous faisons partie. Ils et elles procèdent à des arbitrages délicats, afin d’arriver à des résultats les plus bénéfiques possibles pour l’écosystème en question. Cela implique une grande finesse de savoirs et savoir-faire, un sens de l’observation accru, et une longue immersion dans le milieu. À l’inverse, la spécificité de chaque site demande au gestionnaire d’adapter ses méthodes d’observation et d’intervention, et modifie donc sa manière d’agir, les partenaires avec qui il interagit, le temps qu’il va passer sur place… Encore une fois, la relation entre humain et nature est intriquée et peut se lire dans les deux sens.

Pour vous aussi ?

Et bonne nouvelle, ce lien privilégié n’est pas réservé qu’aux spécialistes ou aux experts ! Grâce aux nombreux chantiers de gestion volontaires proposés par Natagora, tout un chacun peut s’essayer à la vie dans une réserve naturelle.

Outre les chantiers de gestions « classiques », qui ont lieu tout au long de l’année dans toutes les réserves, il existe plusieurs formats de gestions à plus grande échelle.

Des camps de gestion à vélo

Depuis 20 ans, chaque année, une semaine de stage de gestion est organisée par Jean-Luc Mairesse en région lorraine. Avec une ambiance proche du camp scout, les participant·es passent la semaine à l’extérieur, dormant sous tente, et migrant à vélo du campement aux site à gérer ou à visiter. L’occasion de respirer un bon bol d’air frais, de revenir à l’essentiel, tout en mettant la main à la pâte et en découvrant des sites naturels et culturels. Les tâches de gestion sont plutôt précises et techniques, comme l’entretien de zones peu accessibles ou la récolte de graines ; et viennent en complément des travaux effectués par les entrepreneurs.

Des chantiers intercommunautaires

Il y a 30 ans, la rencontre entre un citoyen néerlandophone et un francophone, Rik De Wulf et Thierry Gridlet, a donné naissance à des chantiers de gestion de part et d’autre de la frontière linguistique. Le projet a entretemps été rejoint par la communauté germanophone et la participation de nos voisins luxembourgeois et néerlandais. Tous les ans en début d’automne, Natagora, BNVS et Natuurpunt organisent à tour de rôle un grand week-end de gestion de réserve, auquel se rendent les volontaires des autres régions. Entre travaux de gestion, moments conviviaux et visites culturelles, ces week-ends – qui accueillent en général une cinquantaine de personnes – sont riches en rencontres et découvertes. La prochaine édition 2024 aura lieu le week-end du 21-22 septembre du côté germanophone.

Des chantiers inter-régionales « Grand Sud »

Depuis 2022, les régionales Ardenne centrale, Semois ardennaise et Lorraine mettent leurs moyens en commun et donnent rendez-vous une fois par an sur une réserve d’une des trois régions. Une journée rassemblant les volontaires du sud du pays pour effectuer des travaux conséquents dans la convivialité.

Tisser les liens humains

La gestion de réserves, dans ces formats à grande échelle, est donc aussi une aventure foncièrement humaine. Ces expériences offrent des occasions de tisser des liens sociaux, tantôt à l’échelle d’une grande région, tantôt entre volontaires et staff, tantôt entre les cultures qui composent notre pays et ses voisins. Au fil des années, ces moments ont donné naissance à nombreuses relations amicales (et même amoureuses !), formant avec le temps des groupes soudés, impatients de se retrouver chaque année, faux et râteaux à la main. Ce sont de riches outils de cohésion sociale, alliant contact avec la nature, travaux manuels, convivialité et découvertes culturelles.

Ce tissage de liens passe par la convivialité toujours présente, mais aussi par la transmission des gestes, savoirs et pratiques spécifiques à l’intervention en milieux naturels. Ces moments permettent à des personnes passionnées et attachées à ces sites de partager ce qui les anime à d’autres. Apprendre à faucher, à creuser une mare, à reconnaître des espèces, sont autant de connaissances précieuses pour agir en faveur de la biodiversité. Ce partage est par ailleurs l'objet d'activités spécifiques, comme des formations autour de la fauche dans la régionale Dendre-Collines.

Les volontaires et employés liés aux réserves en question sont souvent fiers de présenter ces lieux, qui font la richesse de leur région et témoignent de leur ancrage territorial. Ainsi, en plus de contribuer à la conservation du patrimoine naturel, c’est également du patrimoine culturel qui est transmis pour les générations futures.

Cette solidarité intergénérationnelle donne du sens au travail des personnes impliquées, comme en témoignent des photos d’une gestion au marais de Heinsch datant de 1978. Cette réserve, l’une des plus anciennes de Natagora (anciennement RNOB), tient sa richesse biologique à des décennies d’actions humaines… Qui n’ont de cesse de tisser des liens entre humains et avec leur environnement.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Ces questions touchent aux fondements mêmes des actions de Natagora et de la conservation de la nature en général, il est donc sain de se poser pour y réfléchir de temps en temps. Si elles vous inspirent, si vous avez d'autres points de vue ou pistes de réflexions à partager... Votre avis nous intéresse ! Sentez-vous libre de nous contacter à l'adresse volontariat@natagora.be.

 

Autrice : Hélène Gassmann

Merci à Thierry Gridlet, Jean-Luc Mairesse et Marie Vanschepdael pour leurs contributions !

Crédits photos (par ordre d'apparition) : Damien Sevrin, Sébastien Pirotte, Thibaud Vandaudenard, Jean-Luc Mairesse, Thierry Gridlet, Robert Jacquet.

 

 

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