Création de réserves naturelles : un appel au soutien politique
Jusqu'à récemment, un vent d'espoir soufflait sur la préservation de la nature en Wallonie. Le plan de relance et les subsides "Aires protégées" ont permis de déployer une force sans précédent pour protéger nos écosystèmes. Mais aujourd'hui, cette dynamique est menacée. Le nouveau gouvernement a décidé de réduire sensiblement le budget dédié à la nature.
Dans cet article, nous explorerons les succès de notre action et les défis qui nous attendent. Nous donnerons la parole à un volontaire ayant pris part activement à la transformation de terrain en réserves naturelles. Alors que ce dernier célèbre les 40 ans des réserves naturelles de la Haute-Sambre et de la Haute-Haine ce 14 septembre 2025, la question se pose : comment continuer notre action face à la baisse des soutiens publics ?

Le projet Aires protégées, c’est bientôt fini !
Le projet Aires protégées est issu du Plan de Relance de la Wallonie et du Plan National pour la Reprise et la Résilience. Il a débuté en mai 2022, dans le cadre de la stratégie européenne en faveur de la biodiversité qui vise à protéger 10 % du territoire européen d’ici 2030.
Pour contribuer à cet objectif ambitieux, neuf associations de protection de la nature* ont bénéficié d’un subside qui se répartit sur trois axes : l’acquisition de nouveaux terrains et leur mise sous statut de protection stricte, la restauration de milieux menacés, et la valorisation des réserves naturelles afin d’y accueillir et sensibiliser le public. (*Ardenne & Gaume, Cercles des Naturalistes de Belgique, Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux, Virelles Nature, Patrimoine Nature, Les Amis du Parc de la Dyle, Les Amis de la Fagne, Le Genévrier, Natagora)
Au global, les projets menés ont concerné 2500 hectares de terrains acquis, restaurés ou valorisés.
Pour Natagora, les forces décuplées grâce à ce projet auront permis d’étendre son réseau de sites de près de 600 hectares et de créer 10 nouvelles réserves naturelles, comme le Bois de Wadergnies (Peruwelz), Comblinay (Comblain-la-Tour) ou encore la Montagne-de-la-Carrière (Vaucelles).
La valorisation aura aussi fait partie des priorités de Natagora dans ce projet, avec 580 hectares aménagés ou mis en avant pour le public. Ces projets ont été des projets bottom-up, issus de belles dynamiques bénévoles. Ainsi, c’est notamment grâce au soutien des régionales de Famenne et Lesse & Houille que deux premiers guides de balades traversant toutes les réserves naturelles de leur région ont pu voir le jour. De plus, pour accompagner le public dans ces balades, de nouveaux panneaux didactiques, aires de vision, bancs, etc. seront aménagés sur le parcours. Le projet Aires protégées aura ainsi joué le rôle de tremplin et permis la réalisation de ces projets construits de A à Z par les volontaires.
Mais en juin 2026… tout s’arrête !
Même si le Plan de Relance se termine en 2026, nous aurions pu espérer du gouvernement wallon qu’il maintienne ce soutien aux associations et autres acteurs de protection de la nature. Mais comme vous le savez déjà, la tendance s'est plutôt inversée avec une nette diminution des budgets alloués à la Nature. Décision que nous ne pouvons que déplorer… et combattre.
Le projet Aires protégées aura été la preuve que lorsque les associations reçoivent un soutien financier adéquat, celles-ci peuvent déployer un dynamisme incroyable en un très court laps de temps. Cette force de frappe, l’association la doit notamment aux nombreux volontaires engagés depuis des décennies.
Découvrez le témoignage de l’un de ces volontaires, Jean-Marc Laurent.

Un engagement pour la nature à l’épreuve des années
Depuis près de 40 ans, Jean-Marc Laurent s’investit bénévolement pour acquérir des terrains et les transformer en réserves naturelles. Comment est née cette incroyable aventure ?
C'est une histoire qui commence en 1985, avec la création de la réserve naturelle "Entre Sambre et Meuse" (RNOB de la Buissière). À l'époque, une petite équipe, dont je faisais partie avec d'autres passionnés comme Emmanuel Sérusiaux et Edgar Kesteloot, s'est lancée le défi de protéger le marais du Pont Madame. L'idée est de constituer un véritable puzzle écologique sur toute la vallée de la Haute Sambre. On a honoré la demande d’un tout jeune naturaliste de la commune.
Cette ambition d’agrandir les réserves ne s'est pas faite sans difficultés. L'approche était toujours la même : aller à la rencontre des propriétaires, expliquer notre projet et négocier. Parfois, c'était un "oui" immédiat, d'autres fois un "non" catégorique, ou une demande de prix exorbitante. Ce travail a demandé de la patience et une grande force de persuasion malgré les contraintes créées par la chasse sportive.
Comment avez-vous géré l'agrandissement de ces réserves ? Les négociations ne devaient pas être de tout repos.
Effectivement, cela a souvent été un jeu d'équilibriste. En quarante ans, nous sommes passés de quelques hectares à plus de 90 hectares aujourd'hui, et nous continuons à construire ce "puzzle". C'est devenu une véritable passion, un jeu amusant, qui prend du temps et est toujours en cours !
Nous avons pu récemment agrandir la réserve de 10 hectares grâce au Plan de Relance de la Wallonie. Avec le soutien, toujours, de Joëlle Huysecom (directrice du département Conservation chez Natagora) et Nora Scieur, la cheville ouvrière du projet.
Nous avons aussi appris à être créatifs en négociant des conventions plutôt que des achats pour protéger les terrains de la chasse ou de l'urbanisation sur base, souvent, des zones naturelles au plan de secteur ou Natura 2000. Nous avons tissé des liens de confiance avec les agriculteurs, en respectant nos engagements sur le long terme tout en veillant au respect des conventions pris de commun accords. Ce travail a porté ses fruits : de deux agriculteurs qui nous aidaient au début, nous en avons maintenant cinq, et de nouveaux se joignent à nous grâce au bouche-à-oreille. Nous leur confions des fauches, du pâturage… Certaines sociétés mobilières agricoles nous renseignent aussi des opportunités d’achats, souvent salutaires pour des petites exploitations, et nous aident à négocier avec les agriculteurs.
Qu'est-ce qui vous a donné la force de persévérer malgré les difficultés et les moments de découragement ?
C'est une question de caractère. Mes parents m'ont toujours appris à ne jamais rien lâcher. Je me suis toujours dit : « Il faut que je reste là, comme un bâton de vie ». J'ai vu la nature disparaître à une vitesse folle, et ça a renforcé ma détermination. Le soutien de mon équipe a aussi été essentiel. On se serre les coudes, on s'encourage. C'est le groupe, la commission de gestion Haute-Sambre - Haute-Haine, qui donne la force de continuer. Il faut veiller à laisser toutes les informations utiles pour que les plus jeunes continuer à progresser. Avec l’équipe locale, nous nous rencontrons lors des chantiers de gestion. Ces journées en pleins airs sont sources d’échanges et de convivialité. Tout le monde y est le bienvenu ! Selon les volontés, nous insérons les membres dans divers groupes de travail tant manuels qu’administratifs.
En quarante ans, vous avez dû acquérir des compétences très variées, de la prospection à la négociation, en passant par le droit et l'administration. Quelles sont les leçons les plus importantes que vous avez tirées de cette expérience ?
On apprend énormément sur le terrain. La législation se complexifie, et il faut se tenir au courant. Nous avons aussi appris à nous entourer de gens de confiance : des notaires, des experts géomètres. J'ai appris que la psychologie est un atout indispensable pour comprendre les propriétaires et trouver le bon angle de négociation.
Le travail doit toujours se faire avec la plus grande discrétion, car si la vente s'ébruite, malheureusement, elle peut échouer. Il faut aussi faire des recherches approfondies sur l'historique des terrains pour s'assurer qu'ils ne sont pas pollués parce que la dépollution serait à notre charge.
Finalement, la clé est de rester neutrepolitiquement et philosophiquement. Mon seul but est la conservation de la nature, et c'est ce message que je transmets, avec respect et honnêteté.
Quel message aimeriez-vous adresser à ceux qui veulent s'engager pour la protection de la nature ?
Il y a deux façons d'agir : soit on est passif, soit on devient militant. Le militantisme peut prendre différentes formes. Cela peut être de donner des conseils, de faire preuve de convivialité et d'entretenir un bon relationnel. C'est aussi d'informer les personnes qui ont un rôle officiel pour qu'elles puissent agir, en cas de délinquance environnementale, par exemple.
Le plus important est d'être respectueux des gens et de ne jamais relâcher vos efforts. C'est grâce à ces efforts que notre héritage grandit et que les générations futures pourront, elles aussi, en profiter. Les gens, s’ils ne se sentent pas compétents assez, peuvent nous soutenir en étant adhérents. Et puis, il y a aussi toujours de la place pour venir nous aider dans la gestion des réserves.
Il faut laisser le temps au temps et rester optimiste. Pour anecdote, un chasseur, qui refusait de nous vendre sa parcelle, a fini par changer d'avis en voyant la qualité de votre travail sur le terrain. Je fus interpellé en patois lors d’une gestion : “Vol volez toudis m’en terrain… passez à la maison alors.”

Et pour ceux qui souhaitent participer à l'agrandissement des réserves, auriez-vous quelques conseils ?
- Informez Natagora si vous entendez parler d'un terrain à vendre qui présente un intérêt écologique.
- Ne vous précipitez pas. La personne qui vend un terrain sentira votre empressement et pourrait en profiter pour augmenter son prix. Travailler avec le temps est un atout.
- Ayez un réseau de confiance. Avoir un expert géomètre ou des personnes fiables autour de vous, pour vous conseiller, est crucial.
- Vérifiez toujours les propriétés du terrain (il peut y avoir des vices cachés) et ses accès (entrée et sortie pour les visites guidées et la gestion).
- Bien passer le message au propriétaire du terrain que tous les habitants du village profiteront de ce bien collectif à préserver dans le temps pour l’avenir de leurs enfants.
- Faire participer ses proches est une richesse, car ce seront alors des moments à partager. J’en profite pour remercier ma famille pour son soutien.
Le 14 septembre 2025, vos réserves naturelles Haute-Sambre – Haute-Haine fêtent leurs 40 ans. Que représente cette journée pour vous ?
C'est une journée pour honorer tous ceux qui ne sont plus là, ou qui continuent de se battre malgré la maladie. C'est une célébration de la conservation de la nature et de la biodiversité, pour garantir la tranquillité de ces sites. C'est aussi l'occasion de trouver le bon équilibre entre la protection du site et l'ouverture au public, par exemple en aménageant des observatoires ou des balades autorisées pour guider les visiteurs. Un contact avec tous les acteurs politiques, associatifs et les habitants concernés a permis de créer un capital sympathie. Les chevaux ‘Tarpans’ et les cigognes blanches nous ont beaucoup aidés.
C'est une chance unique de montrer que notre travail est une preuve d'amour pour la nature.
Alors que les aides publiques s'amenuisent, la préservation de notre patrimoine naturel ne doit pas vaciller ! Loin de nous décourager, ce recul politique doit au contraire réveiller en chacun de nous la force du militantisme et de l'engagement citoyen.
Les succès passés prouvent qu'une action de grande ampleur est possible. Les décisions politiques ont une responsabilité primordiale dans l'atteinte des objectifs ambitieux fixés par l'Europe en matière de biodiversité. L'association Natagora est prête à être un partenaire efficace, grâce à ses bénévoles et son enthousiasme.
Nora Scieur, assistante de la Cellule Foncier en charge du projet Aires protégées
Aurélie Gabriël, chargée de mission pour les commissions de gestion